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CHRONIQUE n° 41 - 06/2004
GÉNIE, TALENT, ARTISTE


Le terme de génie paraît avoir subi des vicissitudes significatives. Par exemple, du talent d'un grand violoniste, F.J. Fétis parle de son génie. Le terme semble employé comme un superlatif, il témoignerait d'une adhésion, d'un enthousiasme pour une qualité, un don que l'on admire. Mais aujourd'hui, ce vocable, semble-t-il, n'a cessé de prendre une signification plus forte, à tel point qu'on n'ose plus le prononcer que pour quelques grands noms. Le mot nous fait presque peur. Il semble traduire une sacralisation comme si la notion de génie s'éloignait de nous au fur et à mesure que nous perdions la capacité de le comprendre. Quand on le prononce, il semble que la langue s'embarrasse dans la bouche. N'a-t-on pas la sensation de se sentir dépassé par la notion qu'il exprime? Le terme semble devenu presque tabou dans la frayeur qu'on a de l'utiliser à mauvais escient. Quelle honte pour nous de l'employer à propos d'un compositeur dont on ne serait pas sûr qu'il a été suffisamment consacré. Seuls les compositeurs considérés par la tradition semblent avoir le droit d'être des génies. En revanche, nous semblons être à l'aise pour prononcer le mot de talent. La critique semble l'utiliser abusivement pour s'excuser de ne pas considérer comme géniale une oeuvre ou un compositeur qui n'est pas estampillé par la tradition ou encore pour rabaisser les mérites d'un compositeur qui remporta de nombreux succès. Ainsi c'est son talent qui expliquerait son succès tandis que le succès de J.S. Bach, naturellement, est dû, lui, à son génie. Pierre Hiegel, présentant un enregistrement de C. Saint-Saëns, nous dit qu'à son égard, on ne peut évidemment parler de génie, mais de talent. Quant au terme d'artiste, il semble aujourd'hui déprécié plus encore. Au XIXème siècle il pouvait être proche de la notion de génie (pour F.J. Fétis, Ludwig van Beethoven est un "artiste"), actuellement ce terme serait plutôt synonyme de prestidigitateur ou de montreur d'ours. Les vicissitudes de l'acception des termes de génie, talent, artiste pourraient montrer la distance de plus en plus grande qui nous sépare des époques passées, et refléter une intellectualisation et une sacralisation sans cesse croissante de la musique. Cette vénération, outrancière à notre avis, ne contribue-t-elle pas à creuser notre incompréhension à son égard plus que les anathèmes de jadis proférées par les penseurs de la société française au 17e siècle?


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