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CHRONIQUE n° 44 - 09/2004
QUELLE FUT LA RÉACTION FONDAMENTALE DES INTELLECTUELS
FACE AU PHÉNOMÈNE MUSICAL?


L'expression célèbre de B. de Fontenelle Que me veux-tu sonate? paraît assez significative de l'impossibilité pour les Intellectuels de recevoir un apport culturel qui ne soit pas didactique ou directement compréhensible par la raison raisonnante. La classe pensante du XVIIème siècle exprimait son refus de considérer la musique comme une activité digne de l'honnête homme, perpétuant une réaction de l'esprit qui pourrait remonter à Socrate et au concile de Hiéria. Malgré l'opposition virulente des lettrés, la musique dite classique allait s'imposer dans l'aristocratie à tel point qu'elle est devenue plus tard un véritable marqueur social. Dès lors, les Intellectuels ont monopolisé l'activité musicale et imposé leur autorité en matière de jugement critique pendant trois siècles. Quelle stratégie dialectique leur permet cette volte-face spectaculaire? Celle de la récupération et du détournement. L''iconoclastie frontale s'est mué en iconoclastie rampante sous couvert d'iconolâtrie, les contempteurs sont devenus adorateurs. La métamorphose se fit naturellement sans qu'il y eût jamais aucun complot ni aucune intention coordonnée afin de la promouvoir. La récupération est une réaction qui s'est largement manifestée au cours de l'Histoire dans des champs extrêmement variés de l'activité humaine, c'est une notion commune reconnue. Cette appropriation de la musique, après qu'elle eut été reniée, consista, selon notre hypothèse, à la ramener au rang de catégorie intellectuelle. La tendance fut de considérer l'oeuvre musicale comme l'expression d'aspirations philosophiques en même temps qu'on prétendait l'analyser selon les lois rationnelles de l'harmonie. La conception philosophique atteint, en particulier chez T. Adorno, des proportions à notre avis invraisemblables - notamment à propos de G. Mahler. L'importance qui a été donné à ce lettré montre à elle seule, selon nous, la collusion entre musique et idéologie opérée par la classe pensante. Adorno n'est-il pas le type même de l'intellectuel qui trouve dans la musique ce qui n'y est pas et qui se révèle incapable de trouver ce qui y est? Selon lui, et pour simplifier - car nous ne saurions le suivre dans la complexité amphigourique de ses élucubrations socio-psychologico-philosophiques, la musique véhiculerait un message révolutionnaire refusé par la société. K. Marx, certainement plus raisonnable que ses zélateurs, admettait que l'évolution de la musique était souvent indépendante de la société. L'autre essai parallèle d'intellectualisation de la musique, opposé au précédent, est sa réduction par l'analyse harmonique. Dans les deux cas, nous constatons l'évacuation de la sphère affective et de la sensualité, certainement indignes des esprits purs. La singularité d'art non conceptuel de la musique contre lequel s'insurgeaient les esprits cartésiens semble devenu pour eux un moyen commode pour la détourner de son sens artistique. L'affirmation de la relativité du jugement pourrait plus encore faciliter cette échappatoire. Désormais il semblerait que tout le monde peut faire dire tout ce qu'il veut à n'importe quelle oeuvre. Lorsque les Intellectuels expliquent la valeur d'une oeuvre par des caractéristiques qui négligent l'effet musical lui-même, ne réalisent-ils pas une négation de l'art qu'ils croient (ou prétendent) servir?


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