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CHRONIQUE n° 53 - 06/2004
GRIEG VU PAR UN SPÉCIALISTE DES SCIENCES SOCIALES


La vérité, mais aussi parfois la persistance de certains clichés idéologiques, peuvent s'exprimer lorsqu'un spécialiste d'une science connexe à la musique s'empare du matériau musical pour l'étudier. Un article de l'Acte de la recherche en sciences sociales Musique et musiciens de décembre 1995 nous semble de ce point de vue révélateur :

Ce sont ses innovations harmoniques qui ont valu à Grieg d'occuper une place de choix dans l'histoire de la musique. Certes, durant la dernière moitié de sa vie, c'était un compositeur extraordinairement populaire qui, lorsqu'il dirigeait ses propres oeuvres, faisait toujours salle comble dans l'ensemble de l'Europe. Mais les oeuvres qui avaient la faveur du public n'étaient pas les plus novatrices en matière d'harmonie. C'étaient les suites de Peer Gynt, le Concerto en la mineur et d'autres. Et les musicologues sont pratiquement unanimes à penser que ces oeuvres, d'un caractère plutôt traditionnel, n'ont rien de réussites exceptionnelles. Pour occuper une place plus éminente dans l'histoire de la musique, il eût fallu, soit que Grieg composât des oeuvres plus importantes dans le style traditionnel, soit qu'il poussât plus loin ses expérimentations harmoniques.

Cet éreintement, visiblement emprunté à des écrits malveillants, mais officiels, se trouve miraculeusement transformé en fait universel indubitable. Comme si ce n'était pas suffisant, notre spécialiste ajoute:

Tant lui-même [Grieg] que son art ont quelque chose d'un peu étriqué, petit-bourgeois, et nous nous sommes efforcés de montrer ici qu'il eût mieux réussi comme compositeur s'il avait su dépasser la notion romantique de nation et l'idée que la sous-tend d'une totalité fermée, d'un ensemble achevé.

Voilà une vérité qui ne saurait être discutée. Nous retrouvons dans cette diatribe habilement déguisée en analyse l'idée fort commune (bien que jamais explicitée clairement) selon laquelle la valeur de l'oeuvre est une caractéristique objective déterminée par les musicographes (on ne saurait par définition appeler musicologues des personnes qui confondent analyse objective et critique musicale). Il ne vient nullement à l'esprit du rédacteur de l'article que la prédilection du public pour Grieg pourrait être prise en considération concurremment au jugement affirmé par les ouvrages pour déterminer l'importance réelle de Grieg dans l'histoire de la musique. Seul le diktat des Intellectuels doit être pris en considération. En revanche, et involontairement, l'auteur témoigne de l'existence d'une antinomie fondamentale entre le succès public et la valeur consacrée par les "spécialistes". On remarquera également que la critère de nouveauté concerne uniquement l'aspect harmonique, affirmation signant l'idée corollaire selon laquelle la musique ne saurait que tendre vers l'atonalisme. Bien d'autres clichés se trouvent exprimés dans ce morceau d'anthologie, le désaveu du rhapsodisme, du lyrisme, représenté par la catégorie de romantisme attardé. Etablissons bien le distinguo, si le romantisme de Wagner est grand, celui de Grieg ne saurait être évidemment que petit.


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