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CHRONIQUE n° 70 - 11/2006
CULTE DE L'ÉVOLUTIONNISME


Un exemple particulièrement révélateur du préjugé de modernisme occultant la valeur intrinsèque des oeuvres musicales nous paraît être fourni par Thierry Bernardeau et Bernard Pineau dans Histoire de la musique à propos de Debussy:

La véritable découverte de son génie [le génie de Debussy] coïncide avec le développement de l'expérience sérielle, point de départ de la musique contemporaine. Dans les cours d'analyse qu'il donnait alors au conservatoire, Olivier Messiaen a montré le rôle précurseur de Debussy.

On retiendra de cette citation que les succès de Debussy auprès du public en son temps sont considérés par ces auteurs comme quantité négligeable. C'est la parole divine d'un compositeur moderne et peut-être surtout d'un professeur du Conservatoire qui fait reconnaître le véritable génie de Debussy. Et cette reconnaissance résulte de l'analyse intellectuelle et non pas de l'intérêt manifesté par les auditeurs. Lorsque l'on pense aux déclarations assez sévères de Debussy à l'égard d'A. Schönberg, on est amené à s'interroger sur cette récupération. Comment Debussy, qui a toujours plaidé pour le plaisir musical et la sensualité sonore, peut-il être admiré post-mortem comme initiateur du sérialisme? On resterait presque admiratif devant une manipulation aussi prodigieuse.

Les historiographes, en considérant souvent l'oeuvre uniquement dans son rapport à l'histoire musicale au lieu de considérer sa valeur propre, ne sacrifient-ils pas au culte de l'évolutionnisme? Le jugement de Roland de Candé sur S. Rachmaninov paraît à ce titre significatif. Le musicologue tend à sous-estimer ce compositeur parce qu'il a refusé d'adhérer à l'atonalisme, ce qui est sans doute une inadmissible hérésie. Le raisonnement implicite de R. de Candé nous paraît être le suivant: S. Rachmaninov a refusé la musique atonale, donc il est rétrograde, et donc sa musique est mauvaise. L'on y ressent, pensons-nous, de la part du musicologue (ici plus critique que musicologue) le dépit de voir que certains esprits ont eu l'audace de ne pas s'incliner devant l'avant-gardisme triomphant, et qui, de plus, obtinrent un grand succès.

Il nous semble que l'idéologie du progressisme, établie sur l'hypothèse de la marche inéluctable vers l'atonalisme, a considérablement déformé l'histoire musicale en dépréciant systématiquement les compositeurs qui n'y adhéraient pas. D'autre part, de nombreux spécialistes de l'harmonie ont recherché absolument des accords atypiques, ce qu'ils appellent des hardiesses harmoniques, pour montrer qu'un compositeur était en avance sur son temps. Outre que cette supercherie, souvent, ne vise qu'à imposer artificiellement les compositeurs que l'on souhaite voir s'imposer, elle justifie surtout l'atonalisme. L'idéologie de l'évolution vers l'atonalité, n'a-t-elle pas produit une fausse histoire de la musique qu'il est temps de réviser?


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