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CHRONIQUE n° 88 - 01/12/2005
SAINT-SAËNS EST-IL UN COMPOSITEUR ACADÉMIQUE (SUITE)


Considérons donc quelques données basiques purement objectives concernant Saint-Saëns:

En premier lieu, de nombreuses œuvres de C. Saint-Saëns présentent des variations par rapport à la structure traditionnelle des genres qu’il utilisa. Donnons quelques exemples, que l’on pourrait multiplier:
-le Concerto n°4 pour piano et orchestre ne comporte que 2 mouvements -le Concerto n°2 pour piano et orchestre comporte un second mouvement rapide au lieu d’un adagio.

De telles entorses à la structure d’un genre, même si d’autres œuvres sont orthodoxes, ne sont guère concevables chez un compositeur qui serait épris de pureté formelle comme on le prétend.

En second lieu, on constate que C. Saint-Saëns a écrit un grand nombre d’œuvres pour piano et orchestre (10 dont 5 concertos) contre en moyenne 2 œuvres pour piano et orchestre par compositeurs au XIXème siècle.

En troisième lieu, de nombreuses œuvres de C. Saint-Saëns sont des fantaisies (Fantaisie zoologique, Africa...), des poèmes symphoniques (Le rouet d’Omphale, La jeunesse d’Hercule...), genres de forme libre par excellence. C. Saint-Saëns recourt également à la Suite pour orchestre (Suite algérienne) qui est une forme libre au XIXème siècle par rapport à la symphonie. La Symphonie n°3 est atypique, écrite pour une composition instrumentale inusitée... Si l’on considère l’ensemble de la production de C. Saint-Saëns, nous trouvons donc un grand nombre de fantaisies, de concertos, de poèmes symphoniques, ce qui est peu compatible avec l'hypothèse d'un compositeur académique qui privilégierait la forme! D’autre part, la prédilection pour les œuvres de soliste signe typiquement, même si C. Saint-Saëns a aussi honoré la symphonie et la musique de chambre, un compositeur tourné vers la virtuosité, les effets extérieurs. Considérons en dernier lieu le titre de quelques compositions de C. Saint-Saëns, pour nous limiter à des données objectives. Nous trouvons : Concerto égyptien (n°5), Fantaisie Africa, Caprice andalou, Valse canariote, Suite algérienne... Ces titres donnent plutôt l’image d’un compositeur tourné vers l’exotisme, le rhapsodisme, ce qui ne s’accorde pas non plus avec l’image d’un compositeur académique et froid. Précisons que le contenu de la plupart de ces œuvres confirme incontestablement l'intention rhapsodique de leur titre.

La biographie du compositeur, si elle ne peut en aucun cas intervenir pour juger les caractéristiques de son œuvre, peut cependant être consultée afin de vérifier si nous y trouvons des concordances. D’autre part, l’épithète d’académique prêté à C. Saint-Saëns semble une caractéristique qui s’applique autant à un comportement qu’à un contenu musical. Nous pourrons ainsi tenter d’apprécier si C. Saint-Saëns se comporta effectivement comme un compositeur académique. Trois types de faits paraissent pouvoir être rapportés : les actions du compositeur, les déclarations du compositeur, les jugements sur le compositeur formulés par ses contemporains, les critiques notamment. On comprendra que les actes du compositeur représentent la réalité la plus objective sur ce qu’il fut, et que les commentaires, fussent-ils proférés par l'intéressé lui-même ne constituent pas un élément objectif.

La biographie détaillée de C. Saint-Saëns a été établie par Jean Bonnerot, son exécuteur testamentaire. Elle nous semble montrer la lutte âpre et acharnée que C. Saint-Saëns mena toute sa vie contre l’académisme des milieux musicaux, en prenant souvent des positions extrêmement passionnées et, à notre avis, excessives. Il s’agit cependant ici d’une considération d’ensemble qui nous est personnelle, s’appuyant sur un ouvrage écrit par un ami du compositeur, et sur laquelle on n’est pas obligé de s’accorder. Limitons-nous donc, comme pour les œuvres, à relever quelques données factuelles qui ont été rapportés par Jean Bonnerot et dont on n’a pas de raison de douter. Selon ce biographe, il apparaît que C. Saint-Saëns a passé la plus grande partie de sa vie en tournées de concert (les lieux et dates sont précisés), jusqu’à plus de 80 ans. Un certain nombre de ses œuvres sont dédiées à P. de Sarasate et F. Liszt, virtuoses-compositeurs. Il se confirme donc que C. Saint-Saëns fut un pianiste-compositeur qui mena une vie itinérante, et tous les autres éléments de sa biographie comme de son œuvre - que nous ne développerons pas ici - le confirment. On a rarement vu un esprit académique mener une vie de pianiste-compositeur et se fourvoyer dans les exploits de virtuosité. En dernier lieu, C. Saint-Saëns a été soutenu par F. Liszt, qui ne passe pas particulièrement pour un admirateur de l’académisme et qui concourut, en créant le poème symphonique, à l’obsolescence des formes classiques. C’est cette voie d’ailleurs que C. Saint-Saëns lui-même a poursuivie en créant la suite pour orchestre moderne. Il nous apparaît donc que l’image prêtée à C. Saint-Saëns par les musicographes ne s’accorde ni à l’œuvre, ni à la vie du compositeur, si l’on veut bien considérer les seules données objectives.


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