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CHRONIQUE n° 18 - 07/2002
DOGME DE L'INFAILLIBILITÉ DU COMPOSITEUR ET CULTE DE LA PERSONNALITÉ


Lorsque les Intellectuels de la musique ont décrété qu'un compositeur était un grand compositeur, il semble que sa biographie subisse une miraculeuse métamorphose. Ce qui, chez tout autre individu, aurait paru une mégalomanie ridicule, devient au contraire chez cet élu la marque normale du génie. Ainsi, les compositeurs qui ont acquis la notoriété pourraient être parfois ceux qui possédaient plus que les autres la conviction d'être des génies et qui auraient réussi à imposer cette conviction par une sorte d'effet Pygmalion inverse, tendant à prêter à une personne les qualités dont il se croit doté. Parfois, dans leur certitude que leur protégé soit un génie exceptionnel, les biographes traitent avec un certain mépris des compositeurs qui ont côtoyé leur héros. Par exemple Jean Barraqué évoque d'une manière méprisante E. Chabrier dans son ouvrage sur C. Debussy, L. Campodonico pour mieux élever M. de Falla déconsidère ses compatriotes I. Albeniz, E. Granados et J. Turina... Les compositeurs malheureux sur lesquels ne se sont pas braqués les projecteurs de la médiatisation historique sont considérés comme des ratés, des bouffons, voire comme des ennemis du vrai compositeur, presque des usurpateurs. Salieri, ce compositeur si jovial, si chaleureux n'a-t-il pas été présenté par la littérature comme un esprit austère, laborieux et stérile, jaloux de la facilité dont aurait fait preuve Mozart. On ne comprend pas très bien cependant comment celui qui avait atteint une notoriété européenne, qui fut décoré de toutes les plus hautes distinctions princières de l'Autriche à la Suède, aurait pu être jaloux d'un Mozart dont la réputation était circonscrite à son seul pays natal. L'électisme actuel qui, nous semble-t-il, continue d'entretenir le culte de la personnalité, a discrédité tous les autres compositeurs, considérés presque comme de faux compositeurs qui voudraient se faire passer pour les vrais. Une des conséquences négatives de l'élévation de certains noms à l'état d'hypostases est l'amoncellement de plus en plus considérable d'études qui leur sont consacrés comme un phénomène de cristallisation irrésistible. À l'image d'un cancer, l'hydre aux mille têtes se nourrit d'elle-même et fonctionne en cercle vicieux, justifiant l'importance d'un grand par son influence sur un autre grand. Certes, l'on a constaté en cette fin de siècle la relative démythification des grandes personnalités. Certains biographes savent nous montrer le compositeur dans sa nudité d'homme, parfois même avec une insistance sur sa médiocrité (ainsi M. Hoffman pour P.I. Tchaïkovski), mais quels que soient les progrès effectivement accomplis dans les monographies de compositeurs depuis un demi-siècle, la focalisation sur leur nom demeure et peut-être même s'amplifie au fur et à mesure que de nouvelles recherches alimentent leur biographie. Une des conséquences de ce véritable culte de la personnalité, outre le discrédit qu'il occasionne à l'égard de maints compositeurs moins considérés, est certainement la surexploitation de l'oeuvre des prétendus grands maîtres en vertu de l'axiome selon lequel ils ont composé obligatoirement des chefs-d'œuvre. Pourtant, Quandoque bonus dormitat Homerus. Ainsi, gangrenées par l'idolâtrie, le culte de la personnalité, le dogme de l'infaillibilité du compositeur, les recherches centrées sur les grands noms de la musique ne concourent-elle pas à la sclérose de cet art au lieu de le servir?


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