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CHRONIQUE n° 24 - 01/2003
JOUTES ENTRE COMPOSITEURS


L'observation attentive de la notice sur Haendel dans la Biographie Universelle des Musiciens de Fétis et dans le New Grove Dictionary réserve de multiples surprises. Le musicographe belge nous rapporte la joute sur l'opéra commun élaboré par Bononcini, Haendel et Ariosti, chacun composant un acte. C'est, nous assure-t-il, Haendel qui triompha. Cet épisode rappelle curieusement un certain duel de Bach contre Marchand, qui vit naturellement la victoire du Cantor de Leipzig. En revanche, aucune des deux notices ne rapproche l'avantage de Bononcini concernant le nombre de représentations de leurs opéras les plus célèbres, 53 pour Rinaldo de Haendel (son opéra le plus représenté à Londres) et 65 pour Camilla de Bononcini (ces chiffres étant indiqués dans la notice particulière de chaque compositeur dans le New Grove Dicrtionary). Il est étrange que l'on insiste sur une donnée invérifiable à l'avantage de Haendel et que l'on néglige une donnée chiffrée vérifiable à l'avantage de son concurrent. Ce n'est pas tout. La notice sur Haendel dans le New Grove Dictionary nous apprend que ce compositeur fut l'heureux vainqueur d'une autre joute, contre Domenico Scarlatti. Le claveciniste de l'infante Maria Barbara, d'après ce que rapporte le rédacteur de l'article, convint de son infériorité et remercia chaleureusement son vainqueur. N'est-ce pas un peu trop? Cette allégeance spontanée de la part d'un des clavecinistes les plus réputés de son temps à l'égard d'un compositeur, certes lui aussi célèbre, peut surprendre. Il est vrai que les anecdotes rapportées par Fétis ne vont pas toutes, comme celles-ci, dans le bon sens. On se souviendra de la fameuse affaire de la jambe de Haydn pressée qui peut laisser perplexe et aussi, toujours à propos de Haendel, son refus de jouer après avoir entendu Daquin. Dans ce cas, notre musicographe (Fétis), vous l'imaginez, s'en offusque:

...qui pourra croire cette historiette où l'on dit que Hændel, après avoir entendu Daquin, éprouva tant d'étonnement et d'admiration que, malgré les instances les plus vives, il ne voulut pas jouer devant lui? Haendel et Daquin! quel rapprochement! Ce fait seul doit suffire pour faire apprécier la valeur des louanges qu'on a prodiguées à l'organiste français.

Il faut donc croire uniquement ce qui va dans le "bon sens", c'est-à-dire dans le sens de l'apologie des "grands". Naturellement, ce fait se trouve rapporté dans la notice de Daquin, en aucun cas dans celle de Haendel. Cet événement a-t-il été entretenu par une faction rivale? ce qui semblerait témoigner des luttes d'intérêt entre compositeurs. Mises à part quelques exceptions comme celle-ci, il semble que les duels apparaissent presque toujours à l'avantage des grands classiques, fait d'autant plus bizarre que ces compositeurs sont généralement loués pour leur mépris hautain à l'égard des facilités qui permettent le succès public. Mythification innocente témoignant de l'admiration sincère envers un compositeur ou malveillance coupable visant à éliminer des concurrents dangereux? Falsification partisane qu'il faut dénoncer vigoureusement ou inévitable héroïsation qu'il faut considérer aujourd'hui avec un certain amusement? Il reste que ces commentaires (objectifs ou falsifiés?) sur des joutes (réelles ou inventées?) témoignent (parmi bien d'autres éléments plus ou moins erronés ou enjolivés) de la suprématie que l'on a voulu accorder tendancieusement à certains compositeurs sur d'autres, par exemple Haendel sur Scarlatti et Bononcini, et ce dernier fut tout simplement plongé dans les oubliettes de l'Histoire. En conséquence, nous pensons que l'hégémonie de Haendel sur l'époque baroque (avec celle de Bach), affirmée dans tous les ouvrages, doit être considérée avec la plus extrême circonspection, aussi bien par souci musicologique que par respect pour la vérité.


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