SOMMAIRE


CHRONIQUE n° 47 - 12/2004
ANTONIO SALIERI ÉTAIT-IL JALOUX DE WOLFGANG AMADEUS MOZART?


En 1832, Alexandre Pouchkine publiait un drame Mozart et Salieri dans lequel le Salzbourgeois était présenté comme un génie léger, insouciant, et A. Salieri comme un compositeur médiocre, sévère, laborieux, et envieux du succès de W.A. Mozart. Qu'en était-il? Considérons ce que nous dit d'A Salieri F.J. Fétis (qui consacre à ce compositeur 4 pages contre 26 à W.A. Mozart). On apprend avec stupéfaction que, si l'on en croit ce musicographe, A. Salieri était un homme aimable, gai, spirituel, original, qui eut beaucoup d'amis. Personne ne savait autant que lui d'anecdotes et ne les contait d'une manière aussi plaisante. D'autre part, tous les ouvrages sérieux reconnaissent que A. Salieri obtint des succès retentissants. À l'occasion de son opéra Tarare, il fut même amené malgré lui sur la scène pour être couronné. Il obtint de son vivant tous les honneurs de la part de l'empereur Joseph II et de Louis XVIII. Il fut en effet décoré de la Légion d'Honneur, nommé associé étranger de l'Institut de France, puis membre de l'Académie Royale des Beaux-Arts et membre de l'Académie Royale de Stockholm. Que pouvait-il envier à Mozart, qui n'atteignit jamais de notoriété européenne en tant que compositeur? D'autre part, on sait aujourd'hui que Salieri appréciait Mozart, il a aidé son fils lorsque celui-ci se trouvait en difficulté matérielle. Salieri a même été le seul à diriger la 40e Symphonie de Mozart du vivant de son compositeur. Ne serait-ce pas plutôt par jalousie à l'égard de Salieri que l'on aurait souillé sa mémoire? Certains ont même imaginé un complot des compositeurs étrangers contre Mozart, ce qui expliquerait la défaveur du compositeur à Vienne même. En effet, comment admettre que le médiocre Salieri ait atteint une notoriété très supérieure à celle du divin Mozart? Un film récemment tourné sur W.A. Mozart traîne les mêmes clichés sur A. Salieri. Certes on ne peut reprocher à un poète, à un cinéaste, de déformer la vérité, mais A. Pouchkine n'a sans doute fait qu'amplifier la déconsidération d'A. Salieri par rapport à W.A. Mozart ou tout au moins il a utilisé le culte de Mozart opéré antérieurement par l'ensemble de la société musicale.

Cet exemple nous semble caractéristique de la transformation de l'Histoire de la musique qui s'est opérée peu à peu et l'a réduite à l'état de légende. La morale qui s'en dégage semble toujours être la suivante: les compositeurs que l'on a consacrés sont des génies purs et ceux que l'on a oubliés sont des insignifiants et des jaloux. Les musicographes du 19e siècle n'ont, semble-t-il, pas la responsabilité de cette déformation lorsqu'ils témoignent de faits précis. Aucun, à ma connaissance n'a soutenu l'absurdité selon laquelle Mozart aurait été assassiné par Salieri. Ils ne manquent pas, au contraire, d'établir la réalité historique avec parfois un grand souci de la précision (nous rapportons les faits ci-dessus justement d'après F.J. Fétis). Néanmoins, ils accréditent et appuient cependant assez souvent dans l'esprit la déconsidération opérée par l'intelligentsia musicale (dont ils sont les plus brillants représentants) sur les compositeurs en la reportant sur la valeur de leurs oeuvres.

Pour terminer, nous suggérons aux mélomanes désireux de découvrir par eux-mêmes A. Salieri son Concerto pour flûte, hautbois et orchestre, qui nous paraît être un modèle de style galant merveilleusement exploité. Voici ce qu'en pense Charles Johnston chargé de présenter l'enregistrement:

Les oeuvres enregistrées ici n'ont d'autre prétention que le divertissement, et l'on ne saurait les comparer avec les concertos magistraux que Mozart devait créer dix ans après.

Ce jugement péremptoire repose-t-il sur une audition indépendante ou signe-t-il le panurgisme d'un critique incapable d'opinion personnelle? Exprime-t-il un sentiment sincère ou refléte-t-il le jugement établi par la convention? Pour notre part, en nous engageant personnellement contrairement à Charles Johnston et en reconnaissant notre subjectivité, nous nous permettrons de penser que cette oeuvre, à notre avis, vaut largement la grande majorité des concertos de Mozart.


Sommaire des chroniques

SOMMAIRE



Site optimisé pour norme W3C sous Linux

Valid HTML 4.01 Transitional CSS Valide !