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CHRONIQUE n° 52 - 05/2004
BACH A TRANSCENDÉ TANT DE COMPOSITEURS MÉDIOCRES


Il peut être utile parfois de relire les ouvrages qui ont participé à la notoriété de Bach. Ainsi L'esthétique de Jean-Sébastien Bach (André Pirro - 1907) pour vérifier l'excellence des arguments qu'ils apportent et donc la justification de cette notoriété.

Nous considérerons notamment les commentaires de l'auteur sur les relations entre Bach et les compositeurs qui lui sont contemporains. Mais tout d'abord, rapportons le jugement de ce musicographe sur les critiques formulées par les artistes, compositeurs et dilettanti de son temps.

Des artistes de grand mérite et des compositeurs excellents ont fréquemment témoigné de leur incompétence dans la critique des oeuvres anciennes. Ils sont parfois aussi ridicules que les dilettanti fourvoyés dans l'histoire de l'art, mais leurs bévues sont beaucoup plus dangereuses, car leur talent reconnu accrédite leurs paroles dans le public.

Il me semblait que les véritables musicologues n'éprouvaient pas la nécessité de traiter les artistes et compositeurs de dilettanti ridicules pour s'octroyer le privilège de la critique comme le fait manifestement A. Pirro. Mais admettons donc qu'André Pirro possède la vérité supérieure comme il le prétend.

Voyons comment il commente les innombrables emprunts et transcriptions du Cantor aux autres compositeurs:

Le maître [Bach] y prenait, du reste, un plaisir certain. D'abord le plaisir de rendre plus parfaite l'oeuvre qu'il transformait : dans un excellent article, M. Schering indique tous les remaniements heureux dus à Bach. Et cette joie de corriger et d'assouplir, de mieux équilibrer la composition originale...

Le professeur Bach corrige les essais des autres compositeurs qui ne sont auprès de lui que des musiciens inférieurs, à peine des écoliers, notamment Vivaldi. Il me semblait que la qualité essentielle d'un musicologue lorsqu'il traite de la valeur esthétique devait être la prudence. Nous trouvons plus loin à propos d'une transcription d'un concerto de Vivaldi :

Ainsi, dans le deuxième concerto arrangé pour l'orgue [...], il [Bach] laisse de côté un accompagnement de basse qui alourdissait le retour épisodique du motif principal.

Bach donne des leçons de légèreté à Vivaldi! On ne peut qu'être en admiration devant un compositeur capable d'être en même temps le plus profond et le plus léger.

Toujours plus loin, voici comment Pirro juge, dans l'ensemble, les oeuvres latines, comme il dit :

Dans ces oeuvres latines, on retrouvait le bavardage disert, l'habilité à dire des riens, l'inépuisable faconde, la plénitude, la copia des orateurs et des rhéteurs antiques.

On se prend à admirer la bonté de Bach, ce compositeur si génial, qui, dans sa condescendance, voulût bien se pencher sur ces oeuvres bavardes, si médiocres par rapport à la sublimité de ses propres oeuvres. Plus loin encore, Pirro écrit :

Son imagination [à Bach] est tellement accoutumée à ne former que des thèmes précis, dont le dessein expressif est déterminé, qu'il emprunte instinctivement à ces maîtres de l'éloquence purement musicale, lorsqu'il ne veut écrire que pour la musique, se délivrer de ses émotions, et ne vivre que par l'esprit. Ainsi prend-il souvent des thèmes chez Vivaldi...

Plus loin encore :

Quand Bach veut imaginer des thèmes simples et aisés, il se rencontre encore chez Vivaldi...

Nous l'avons compris, il n'y a que Bach qui soit capable d'écrire des thèmes complexes, et d'atteindre la pensée supérieure.

A propos de l'influence des compositeurs français, nous trouvons des propos tout aussi magnifiques qui ne peuvent que renforcer notre admiration éperdue à l'égard de Bach:

Il a distingué [Bach], dès le premier abord, par quoi les Français excellaient. L'uniformité de leur musique, leurs idées réchauffées et usées devaient lui paraître misérables, comme à J.J. Quantz.. Il jugeait sans doute, comme Forkel, que les pensées de Couperin étaient, bien souvent, pauvres et sans force, mais il ne pouvait manquer d'apercevoir ce qui rachetait cette monotonie et cet enfantillage...

Plus loin, dans le même esprit :

Bach transforme d'ailleurs volontiers les sujets qu'il accepte. Surtout il les agrandit. Les rameaux fluets qu'il a recueillis, peut-être d'une main distraite, deviennent, transplantés dans la terre, des arbres merveilleux.

A propos d'une oeuvre de Marchand reprise par Bach, Pirro nous dit encore :

De ce lieu commun de la musique [l'oeuvre de Marchand], il forme une oeuvre qui résume, corrige et achève toutes les oeuvres déjà faites sur le même sujet, et rend inutiles tous les essais futurs.

On se demande pourquoi, après Bach, d'autres compositeurs prétendent écrire de la musique. Une note de bas de page nous précise, pour le cas où l'on aurait quelques doutes sacrilèges sur l'infaillibilité de Bach:

Il en est ainsi chaque fois qu'il traite un thème emprunté.

A propos du duel avec Marchand, Pirro affirme :

Mais, quand il daignait y condescendre, Bach savait trop bien séduire son public pour s'embarrasser, en de telles circonstances, de toute sa richesse.

Plus loin :

Il fallait que le maître allemand par excellence déguisât sous un vêtement d'emprunt, ses pensées fortes et intimes.

Et, en guise de conclusion :

Il [Bach] ne s'enrichit ainsi de ce que les autres ont dit avant lui, que pour l'achever, ou pour le douer d'un sens profond.

Une telle accumulation de qualités chez un compositeur ne peut que nous éblouir. L'on se demande bien pourquoi les musicologues, les éditeurs, les instrumentistes perdent leur temps à exhumer d'autres compositeurs baroques, quand il est préférable de puiser parmi les innombrables numéros d'opus du Cantor, tellement supérieurs, et qui résument toute la musique.


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