CHRONIQUE n° 56 - 09/2004
ÉVOLUTION RELIGIEUSE ET MUSICOGRAPHIE

Jérôme et Laurent Triolet, agrégés de l'Université, rapportent dans leur ouvrage Souterrains et croyances (Éditions Ouest-France 2002) l'évolution des croyances au cours des millénaires telle que la considèrent aujourd'hui de nombreux spécialistes. Les déesses féminines dominaient, nous disent-ils, avant que l'Homme ne comprît son rôle dans la procréation au cours du Néolithique et que la force physique masculine devint de plus en plus indispensable. C'est ainsi que, selon ces auteurs, les Dieux Pères ouraniens allaient mettre tout en place pour évincer l'antique Déesse Mère chthonienne."et que les Pères de l'Église vont n'avoir de cesse d'écraser ce passé en luttant farouchement contre les cultes féminins. Et ils ajoutent plus loin, ce qui nous intéresse au premier chef:

En deux mille ans de chrétienté, l'Eglise, maîtrisant l'écrit, a très certainement réussi à faire disparaître les pratiques et croyances populaires les moins vivaces liées à ces cultes naturistes.

L'hypothèse d'une influence déterminante de l'idéologie exercée par une intelligentsia intellectuelle (notamment par le pouvoir de l'écrit) contrôlant la sphère musicale, n'apparaît donc pas une vue de l'esprit, contrairement à ce que certains s'acharnent à considérer, si toutefois le parallélisme peut être établi entre évolution religieuse et évolution musicographique. Mais continuons cette comparaison qui nous fournira bien d'autres correspondances troublantes, confirmant une hypothèse que nous avions développée dans la chronique n°30 (La musique a-t-elle un sexe?). Dans la dépréciation des virtuoses-compositeurs (que l'on pourrait assimiler au pôle sensitif-féminin) par rapport aux grands classiques (que l'on pourrait assimiler à l'élément masculin), n'observons-nous pas le même évincement qu'en matière religieuse. Bach, considéré comme Père de la musique, n'est-il pas le plus parfait symbole de la cérébralité d'essence masculine occultant pendant un siècle Vivaldi, représentant plutôt la sensibilité musicale d'essence féminine. Mais suivons plus loin nos deux auteurs. Ils nous apprennent que l'Eglise fut dans l'obligation pour s'imposer d'incorporer certains culte féminins, ce fut notamment celui de Marie (déclarée officiellement mère de Dieu en 431) et de sainte Anne (qui entre dans le calendrier officiel en 1382), avatars de la Déesse Mère (selon cette théorie). C'est la phase de récupération qui apparaît lorsqu'un groupe dominateur, mais restreint, veut assujétir une communauté rétive à son idéologie, et surtout plus nombreuse. De même en musique, il fut nécessaire d'intégrer certains compositeurs plus lyriques ou artistes relevant plus de la sensibilité que de l'intellect - à la condition qu'ils apparaissent toujours inférieurs aux purs représentant de la puissance de l'esprit, apanage du mâle. Ainsi, Chopin, Vivaldi, Liszt, Tchaïkovsky... furent admis, souvent après une période de rejet - grâce à la générosité bienveillante de nos docteurs - compositeurs dont on est bien certain qu'ils ne sauraient atteindre le génie cérébral des Bach, Wagner, Beethoven et autres Mahler... Mais combien d'autres, qui eurent pourtant un rôle historique indéniable, furent impitoyablement dénigrés et laminés comme Viotti, Paganini, Clementi... Qui allait pouvoir représenter le rôle privilégié de Marie dans la relative intégration du principe féminin? Peut-être Mozart qui possède l'atoût, par rapport aux sus-cités d'être issu du giron germanique, considéré inconsciemment comme le pôle mâle et cérébral duquel tout doit découler. Les apparences, au moins, restaient sauves.

Ainsi apparaît toujours le hiatus entre le fidèle et le pontife, entre le mélomane et l'Intellectuel de la Musique, jusqu'à ce que l'approche moderne, d'essence scientifique, dévoile les fondements et le mécanisme de de ces phénomènes. Souhaitons que la connaissance objective ainsi que la sensibilité artistique s'imposent sur le dogmatisme idéologique.

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