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CHRONIQUE n° 58 - 11/2004
ET SI LES OEUVRES N'AVAIENT AUCUN NOM D'AUTEUR


Imaginons qu'instantanément disparaissent tous les noms des compositeurs dont nous possédons les oeuvres et que nous ne soyons plus capables de rapporter un nom à une oeuvre. Nous serions sans doute dans la vérité musicale. Certainement pourrions-nous tout autant apprécier les oeuvres, la différence serait que toutes les analyses psychologiques s'appuyant sur le contexte extra-musical disparaîtraient, de même que les jugements de valeur uniquement afférents au nom du compositeur. Bien des analystes de l'harmonie risqueraient également de trouver des trésors dans des oeuvres qu'ils auraient considérées auparavant comme négligeables. On se souvient d'un certain concert sans nom d'auteur au début du siècle, une oeuvre de M. Ravel fut jugée comme un mauvais démarquage de F. Chopin. Ce jugement (qui n'était peut-être pas faux) aurait sans doute été différent si le critique avait connu le nom du compositeur. L'expérience ne fut jamais recommencée.

Sans atteindre le résultat radical d'une audition sans nom d'auteur, les révélations de la musicologie nous incitent à relativiser l'importance des grands noms par la révélation de nombreuses oeuvres oubliées. Ce répertoire plus vaste permet à tout mélomane, dans la mesure où il manifeste une certaine curiosité, de mesurer lui-même l'impact de la personnalisation sur la musique. La prétendue ou sous-entendue modernité des grands classiques se trouvent souvent mise en défaut. Presque tous sortent écornés de cette épreuve comparative. Nous nous limiterons ici à fournir un des exemples à notre avis des plus flagrants : l'existence de caractéristiques stylistiques nettement plus affirmées dans les poèmes symphoniques d'Augusta Holmes que dans ceux de Richard Strauss (ceci indépendamment de toute considération de valeur qui est un jugement d'ordre subjectif). Pour être rigoureux - en ce qui me concerne - je ne saurais affirmer qu'Augusta Holmes est novatrice. Ce qui me paraît certain, c'est que le style jugé caractéristique de Richard Strauss préexiste dans les oeuvres (antérieures) d'Augusta Holmes et que Strauss l'aurait plutôt édulcoré qu'il ne l'aurait amplifié. Certainement, aucun musicologue (à ma connaissance) n'a jamais affirmé que Strauss fût l'initiateur de son style symphonique. De même aucun n'a prétendu que Mozart possédât un style spécifique et ne fut novateur. Ce n'est donc pas la musicologie qu'il faut attaquer. En revanche, sans doute la quasi-totalité des mélomanes sont persuadés que le style de Strauss lui est propre et que cette particularité lui a certainement permis, à juste titre, d'émerger. C'est ce type d'idées implicite, d'autant plus prégnante qu'elle est inconsciente, qu'il faut mettre en lumière et dénoncer par le recours à l'objectivité. C'est notamment en ce sens que la connaissance scientifique de la musique peut apporter au jugement du mélomane en restituant les conditions d'une perception indépendante du contexte, c'est-à-dire par une opération de déconstruction proche de la tabula rasa cartésienne. A contrario, l'optique de Brigitte et Jean Massin, approfondissant la connaissance de compositeurs déjà très connus, nous semble appartenir à une conception dépassée de la connaissance musicale, concourant à augmenter l'emprise idéologique.


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