CHRONIQUE n° 7 - 08/2001
LES PLUS CÉLÈBRES ET LES PLUS NOVATEURS

Alberti, inventeur de la fameuse basse qui porte son nom (d'après les ouvrages d'histoire de la musique), est resté méconnu alors que Mozart, qui n'imposa aucun procédé musical nouveau (toujours d'après ces mêmes ouvrages) a triomphé. Les nouveautés les plus importantes ont-elles été apportées par les compositeurs les plus renommés aujourd'hui? On peut remarquer qu'aucun des compositeurs les plus considérés du XVIIIe siècle : Bach, Haendel, Mozart, Haydn n'a été un grand novateur, les nouveautés que l'on prêtait il y a quelques décennies à Bach et Haydn ayant été invalidés aujourd'hui par les nouvelles découvertes musicales, ce qui n'empêche d'ailleurs pas ces compositeurs d'occuper toujours le premier plan. En revanche, ceux qui se sont révélés les plus novateurs et qui ont inventé ou développé les nouvelles formes musicales (selon la plupart des ouvrages récents) : Torelli, Vivaldi, Scarlatti, Locatelli, Tartini sont considérés comme inférieurs aux précédents. Tout en considérant qu'il n'y a pas obligatoirement correspondance entre nouveauté et valeur musicale, reconnaissons qu'apparaît là une étrangeté difficilement compréhensible, à propos de laquelle je ne me hasarderais à aucune hypothèse. La déconsidération des novateurs dans l'actuel panthéon musical concernant les compositeurs du XVIIIe siècle n'est-elle pas en contradiction avec le préjugé positif du progressisme qui est devenu le credo des intelligentias? Concernant les compositeurs du XIXe siècle, il semble apparaître un équilibre plus favorable à ceux qui sont considérés comme des novateurs (Beethoven, Berlioz, Wagner, Liszt en particulier) par rapport à Mendelssohn, Brahms notamment, jugés plus traditionnalistes. On constatera cependant qu'un novateur de premier plan comme Paganini, à l'origine de la virtuosité transcendante (selon les ouvrages), reste considéré comme secondaire. Il semble que les violonistes plus que les pianistes aient été laminés par la critique historique. Au XXe siècle, ce sont les novateurs qui s'imposent d'une manière quasi-absolue, éliminant les néoclassiques, victimes du désaveu de la classe musicale pensante, ceci malgré la faveur qu'ils obtiennent auprès du public. Le contraste entre la déconsidération des novateurs du XVIIIe et la surconsidération de ceux du XXe siècle a de quoi surprendre. D'un autre point de vue, je me suis interrogé sur la pertinence qu'il y avait parfois à considérer certains compositeurs comme des novateurs et d'autres comme des traditionnalistes. Les nouveautés apportées par Tchaïkovski et Saint-Saëns, à mon avis, n'ont-elles pas été ignorées par suite de la focalisation sur le seul critère de l'harmonie, qui pourrait être contestable? Corrélativement, une autre question peut être posée? Existe-t-il réellement de grands novateurs qui ont représenté un tournant dans l'histoire de la musique? La réponse à une telle question nécessiterait de connaître quasiment toutes les oeuvres écrites pendant l'histoire de la musique. Autant dire qu'on ne peut fournir que des essais de réponse très prudents. J'ai été frappé de constater des wagnérismes chez Berwald, Gade, des paganinismes chez Giuliani, des beethovénismes chez Dittersdorf... D'autres compositeurs ayant participé à l'émergence des styles nouveaux pourraient avoir été négligés. Ne serait-il pas juste d'affirmer que toute oeuvre musicale peut être considérée dans une certaine mesure comme une oeuvre collective intégrant une partie des oeuvres antérieures, dans le cadre d'une évolution musicale beaucoup graduelle qu'on ne le pense? Le titre de novateur rapporté à un petit nombre de compositeurs pourrait n'être encore une fois qu'un artefact nécessaire à entretenir chez nous le mythe de l'alter deus et du divino artista. Je ne pourrais terminer cette chronique autrement qu'en vous invitant à écouter, si vous ne les connaissez déjà, les étonnantes Symphonies sur les Métamorphoses d'Ovide de Dittersdorf, la Symphonie n°3 singulière de Berwald et la Sonata pour violon et guitare de Giuliani.

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