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CHRONIQUE n° 71 - 12/2006
QUELQUES MANOEUVRES DIALECTIQUES SUBTILES


Dans le combat dialectique opposant les partisans et les détracteurs du modernisme musical, il est parfois des arguments implicites, jamais exprimés, qui n'en sont pas moins prégnants et surtout qui fonctionnent avec une admirable efficacité. Les traquer, les démasquer, les exhiber en plein jour permet de les annihililer, de les dégonfler avec une efficacité que nous espérons aussi remarquable. Le premier de ces artifices frauduleusement utilisé (à notre avis) s'appuie sur ce qu'on pourrait nommer l'hermétisme de nature caractérisant l'art musical. Selon ce principe, la compréhension d'une oeuvre est uniquement dévolue à une élite. Ainsi, lorsqu'une oeuvre paraît incompréhensible, on dit dans ce cas que la musique est difficile et plutôt que de la contester, ce qui serait, à notre sens, un acte de courage, on laisse entendre qu'elle est suprêmement élaborée (c'est pour cela sans doute qu'on ne la comprend pas). Déjà, Debussy stigmatisa cette manoeuvre dialectique par la phrase bien célèbre: Quand on dit qu'une musique est difficile, c'est bien souvent qu'elle ne contient pas de musique du tout? Chaque mélomane peut certainement apprécier la Symphonie fantastique ou Les quatre saisons, mais ils sont sans doute un très petit nombre à croire (ou à nous faire croire) qu'ils trouvent du plaisir à écouter Le marteau sans maître ou Pierrot lunaire. Ainsi l'hermétisme de nature de la musique servirait de paravent pour masquer l'indigence de la musique atonale. On peut en effet toujours prétendre qu'une oeuvre est géniale en considérant implicitement qu'il faut appartenir à une élite particulière pour la comprendre. Parmi ces manoeuvres dialectiques développées par les partisans de la musique atonale figure également ce qu'on pourrait nommer le mimétisme du scandale. En effet, le scandale déclenché par une oeuvre n'est-il pas pour certains une preuve de sa valeur? Ils utilisent le préjugé positif de progressisme et d'avant-gardisme (établi sans contestation depuis l'époque des Lumières) selon lequel le scandale est la manifestation la plus évidente de l'évolution de l'art auquel les traditionalistes s'opposent. Le scandale est auréolé par le prestige du progressisme face à la tendance réactionnaire qui s'oppose à l'évolution vers l'Idéal et le Beau. Mais le scandale authentique qui signait l'avènement d'un art plus élevé, débarrassé des pesanteurs archaïques, se trouve instrumentalisé, déclenché artificiellement. S'opposer au progressisme devient alors une attitude risible d'impuissance qui permet aux avant-gardistes d'afficher leur arrogance et leur certitude de détenir la vérité. Les partisans du modernisme musical tendent ainsi à assimiler leurs détracteurs à des traditionalistes, et toutes les dénégations de ceux-ci sont vouées à l'échec obligatoire. Cette dialectique camouflée, une des plus puissantes qui soient, fonctionne invariablement depuis 80 ans. Une des manifestations les plus spectaculaires de ce principe nous paraît être le scandale du Sacre du printemps. Qui se souviendrait de cette oeuvre si l'on avait pas exploité l'effet de scandale qui la promut? Ces manoeuvres, et bien d'autres, s'appuient généralement sur l'intimidation du profane. Comment en effet contester le sens de l'Histoire et les savantes affirmations des Intellectuels sans passer pour un inculte ou un rétrograde?


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