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CHRONIQUE n° 85 - 02/2008
COMMENT INTERPRÉTER L'HISTOIRE GÉNÉRALE DE LA MUSIQUE


L’Histoire de la musique en tant qu’art, comme nous l’avons suggéré, pourrait être interprétée comme un phénomène très restreint dans le temps et l’espace s’étendant sur 3 ou 4 siècles, du 17e (voire du 18e) au 20ème siècle, laps de temps correspondant à l'utilisation du phénomène tonal. La musique médiévale - comme la musique rock aujourd’hui - selon nous, relèverait de la musique à signification sociale, idéologique, ou même à seule fin d'excitation physiologique primaire et non de l’art. Une autre définition de la musique encore plus restrictive pourrait être proposée, ce serait, à notre sens, de considérer la présence de l’élément thématique, quoiqu'il soit parfois malaisé, reconnaissons-le, de définir un contenu thématique ou plus largement, motivique, surtout dans le domaine de la haute virtuosité. La structure tonale associée à l’athématisme se présente dans de nombreuses œuvres au 17ème siècle ou au début du 18ème siècle comme la Suite en si mineur, la Suite en la mineur de L. Couperin, les Tientos de F. de Arauxo, de nombreuses œuvres de J.S. Bach... On la rencontre également dans des œuvres pseudo-modernes possédant l’apparence d’œuvres classiques par exemple certaines œuvres de von Eimen, et même de S. Prokofiev... L'on pourrait aboutir à la définition la plus restrictive possible, certainement la plus idoine, mais aussi la plus subjective, qui distinguerait la musique assocée à une qualité esthétique et celle qui en est dépourvue. Ce serait reprendre la célèbre formule de Rossini: Il existe deux sortes de musique, la bonne et la mauvaise. Sur le plan évolutif, l'examen de la thématique constitue peut-être le véritable fil qui permet de suivre la transformation de la musique depuis le 18e siècle jusqu’au 20e plutôt que l’évolution de l'harmonie (mais sans oublier l'importance de l'instrumentation, du rythme et des fluctuations d'intensité). Nous passons au 18e siècle de la thématique pseudo-contrapuntique à la mélodie récitative, puis à la mélodie cantabile pour aboutir au 19e siècle à une thématique parfois pseudo-mélodique, proprement thématique ou motivique, totalement opposée à la mélodie cantabile, mais qui voisinne avec de larges passages thématiques en mélodie cantabile. D’autre part, la distinction des époques baroque, classique, puis romantique, extension de la terminologie relative aux Beaux-Arts ou à la littérature, n’est-elle pas éminement interprétative? Elle fut de fait très critiquée. Mais le plus important est peut-être que la production musicale n’est pas homogène à l’intérieur d’une période (si l'on admet l'individualisation très problématique des périodes), même au 17ème siècle. Quel rapport y a-t-il sur le plan du langage musical par exemple entre une cantate de D. Buxtehude et la Sonata representativa d’H. Biber qui sont presque contemporains. Des variations de langage musical sont également sensibles chez un même compositeur et même pendant une même période compositionnelle selon le genre considéré, par exemple entre de nombreuses sonates de Tartini, proche du style archaïque de Tebaldi, et ses concertos pour soliste ou la fameuse Sonate Trille du diable. La sonate d’H. Biber, écrite vers la fin du 17e siècle nous paraît plus proches de L’arte del violino de P. Locatelli, voire des 24 Caprices de N. Paganini datant du 19e siècle. Là encore, la loi du genre instrumental nous paraît s’imposer plus que celle de l’époque. En définitive, faut-il privilégier l'évolution technico-thématique des effets en tant que facteur autonome plutôt que la prééminence de l'esprit, de la finalité esthétique et idéologique (le classicisme, le romantisme...), à moins que cette dernière ne soit qu'une conséquence de la première. Une autre difficulté se trouve posée par l'existence des oeuvres erratiques comme les fameuses Variations sur la Follia de Salieri ou les oeuvres inclassables comme, tout simplement, les Quatre saisons de Vivaldi. Les classifications temporelles ne constituent-elles pas une systématisation satisfaisante pour l'esprit avide de rationalité, mais dont le rapport avec la réalité historique reste problématique? Quelle est la véritable imprégnation d'un style d'époque? Ne représente-t-il pas un courant, privilégié gratuitement par l'historiographie par rapport à une coexistence de styles, voire de langage musicaux, différents. Ne doit-on pas plutôt dégager des lignées évolutives comme par exemple le style expressionniste des concertos de Kabalevsky qui semble remonter au Concerto de Naprvanik. La revendication idéologique du retour à la mélodie simple opérée par le Groupe des Six n'est nullement intervenue - pour la raison incontournable qu'elle est postérieure à ce concerto. Et ce style du concerto de Napravnik pourrait nous faire remonter au style un peu primaire et abrupt des premières manifestations virtuoses pianistiques au début du 19e sicècle et qui se sont perpétuées jusqu'à la fin de ce siècle comme celles de Dreyschock, Raff, Henselt, Bronsart, Hiller, Goetz, Reinecke, Rheinberger, les premières oeuvres de Liszt... sans invoquer une quelconque réaction contre les hypersubtilités de la musique impressionniste, laquelle n'existait pas encore. Sur le plan des oeuvres concertantes violonistiques, la lignée évolutive irait de Biber, Westhof... à Torelli, Fiorenza, Tartini, Albinoni, Vivaldi, Locatelli... puis Viotti, Paganini, Lipinski, Wieniawsky, Vieuxtemps et l'école franco-belge en incluant même Berwald, Aulin, Halvorsen... une lignée court-circuitant totalement la musique galante, qui en est l'antithèse. Enfin, questionnement impie, quelle est l'importance réelle des grands noms. Et, s'il est des grands noms, ceux qui se sont dégagés sont-ils légitimes, sont-il les vrais grands noms, notion qui peut laisser pour le moins dubitatif. Autant de questions sur lesquelles la musicologie, malgré des avancées estimables, apporte un éclairage encore très flou.


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